Pourquoi 80 % des DUERP ne protègent plus réellement, et comment sortir de l’impasse

18 novembre 2025

80 % des DUERP analysés lors d’audits ne reflètent plus la réalité du terrain.

Dans une entreprise sur deux, le document mentionne des risques disparus ou oublie les nouveaux.

Et dans 60 % des cas, aucune action concrète n’a été engagée depuis la dernière mise à jour.

Ces chiffres ne viennent pas d’une étude nationale, mais d’un constat répété : inspections du travail, audits internes, retours institutionnels et centaines de DUERP passés au crible ces dernières années racontent tous la même histoire.

Alors, le DUERP : protection réelle ou formalité administrative inefficace ?

Les RH savent ce que c’est, ce moment où l’inspecteur du travail demande à voir le DUERP, et où l’on ouvre le fichier avec cette petite crispation : « Il date un peu, mais on va le mettre à jour. »

Ce jour où un manager signale un nouveau process, et où l’on note mentalement « penser à l’ajouter au DUERP »… avant que trois urgences le font oublier.

Cette volonté sincère de bien faire, coincée entre les arrêts maladie à gérer, les recrutements qui traînent, la paie qui tombe dans trois jours, et cette formation obligatoire qui doit être organisée avant la fin du trimestre.

Et au milieu de tout ça… le DUERP qui attend sagement dans un dossier, avec ses risques d’il y a deux ans.

Quand le DUERP devient un fantôme

Il y a peu, nous étions dans une entreprise industrielle pour un audit prévention.

Le DUERP était impeccable : tableaux structurés, dates actualisées, risques classés par gravité.

Sauf qu’il mentionnait encore une « zone de stockage extérieure » supprimée depuis trois ans lors d’un réaménagement.

La nouvelle ligne de production, avec manutention répétée de charges lourdes et risques de brûlures, n’apparaissait nulle part.

Personne n’avait menti ni négligé, c’est juste que la vie de l’entreprise va parfois plus vite que ses documents.

Le DUERP avait été « mis à jour » avec les dates changées, les en-têtes modifiés ou encore la présentation réorganisée. Mais le contenu n’avait jamais vraiment suivi les transformations du terrain.

Mais au final, c’était un document propre qui ne protégeait plus personne.

Dans une collectivité territoriale, même scénario. 

DUERP exemplaire sur la forme avec les couleurs, niveaux de risque, bref tout y était.

Mais il listait des risques liés aux « produits phytosanitaires » alors que les agents n’en utilisaient plus depuis cinq ans, suite à une politique zéro pesticide. 

Et les incivilités du public, devenues le premier risque psychosocial depuis la réouverture post-Covid, tenaient en deux lignes : « gestion des usagers difficiles ».

Les modèles génériques sont tentants parce qu’ils font gagner du temps, donnent une structure, rassurent.

Mais la prévention n’est pas un exercice théorique. Elle décrit VOTRE entrepôt, VOS horaires décalés, VOS postures répétitives, VOS flux de camions, VOS contraintes réelles.

Un DUERP générique fait sérieux sur le papier, mais souvent dans les faits, il ne protège rien.

Quand une seule personne porte tout

Dans une PME de 80 salariés, la responsable RH nous confiait :

« Je sais que je dois le mettre à jour. Je sais même comment le faire mais je n’ai juste pas les dix heures d’affilée qu’il faudrait. »

Elle n’exagérait pas.

Son quotidien c’était gérer les arrêts maladie qui s’accumulent, relancer les recrutements en cours, boucler la paie, préparer les entretiens annuels, accompagner la réorganisation interne, mettre en place la nouvelle convention collective… et entre deux emails urgents, cette demande tombée par Teams :

« Au fait, le DUERP est à renouveler pour le CSE de jeudi. »

Faire une vraie mise à jour du DUERP, ça ne se fait pas en vingt minutes volées entre deux réunions. Ça demande du temps avec des échanges avec le terrain, des allers-retours avec les managers et surtout une analyse sérieuse.

Ce n’est pas une question de compétence ni de bonne volonté. C’est une question de conditions de travail.

Et c’est là que le système s’effondre : 

  • Juridiquement, le DUERP relève de l’employeur. 
  • Opérationnellement, il dépend des remontées terrain.
  • Organisationnellement, il nécessite des arbitrages budgétaires. 
  • Socialement, il doit être discuté avec le CSE.

Et pourtant, dans la majorité des entreprises, une seule personne (souvent le RH) se retrouve à tout centraliser.

Dans un centre logistique, le DUERP listait correctement les risques liés à la conduite de chariots élévateurs, mais aucune action n’avait suivi depuis un an : les managers de quai n’osaient pas demander des aménagements, le RH n’avait aucun levier budgétaire, et la direction n’avait jamais été sollicitée sur le sujet.

Rien d’illogique là-dedans, juste une mécanique qui ne synchronise pas ses acteurs.

Un DUERP n’est pas conçu pour être porté seul car quand une seule personne le porte, il s’épuise avec elle.

Quand le diagnostic existe… mais que rien ne bouge

Dans une entreprise industrielle, nous avons découvert un DUERP extrêmement détaillé : 

  • chaque risque analysé
  • chaque gravité évaluée
  • chaque probabilité chiffrée. 

Un travail remarquable !

Sauf qu’aucune action n’avait été engagée depuis deux ans.

Pas par négligence mais par manque de budget.

Simplement parce que déterminer les actions, les prioriser, les budgétiser, les attribuer et les suivre… ça nécessite une coordination que personne ne peut assumer seul.

Le DUERP était devenu une photographie précise mais immobile.

Un DUERP sans plan d’action, c’est une alarme incendie sans bouton. 

Ce qui rend le DUERP inopérant, ce n’est ni le modèle utilisé, ni la compétence du RH, ni l’engagement de la direction.

C’est le décalage entre ce que le DUERP exige (une dynamique collective, des remontées terrain, des arbitrages, du suivi…) et la façon dont il est traité dans les faits (un document confié à une personne isolée).

Dans les organisations où la prévention fonctionne, le DUERP est vivant parce qu’il est alimenté par les managers suite à des discussions en réunions, il est également consulté avant chaque changement d’activité, et suivi comme un vrai projet.

Dans les autres, il n’est pas absent, il est juste orphelin. 

Personne ne le porte vraiment ni ne l’utilise vraiment.

Aucun coupable là dedans, juste le signe d’un système encore jeune, où la prévention n’est pas encore intégrée dans le fonctionnement quotidien.

Sortir de l’impasse : quand le DUERP redevient un outil, pas une corvée

La solution n’est ni un nouveau modèle Word, ni un logiciel miracle ou encore une formation théorique de plus.

La seule façon de rendre un DUERP utile c’est de reconnecter le terrain avec le document en impliquant les managers dans les remontées, de structurer les échanges avec le CSE en clarifiant qui fait quoi, pour permettre une priorisation des actions concrètes et ainsi créer un cycle de prévention où chaque acteur a sa place.

C’est là qu’on aide souvent les entreprises à structurer leur plan d’action, pas un tableau Excel qui dort dans un dossier, mais un vrai outil de pilotage simple qui fait bouger les lignes.

Quand cette mécanique fonctionne, on le voit tout de suite.

Le DUERP cesse d’être un sujet stressant pour le RH en devenant un point d’appui pour toute l’organisation. 

Et surtout : il ne repose plus sur une seule personne.

Dans ces entreprises là, quand un incident mineur survient, que ce soit une glissade, une coupure ou encore un conflit, personne n’est pris au dépourvu. 

Les équipes savent quoi faire, qui prévenir, comment analyser l’événement et comment ajuster la prévention pour que ça ne se reproduise pas.

C’est exactement là que le DUERP retrouve son sens : un outil simple, organisé, qui protège réellement les personnes et soulage durablement ceux qui le portent.

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